lundi 19 novembre 2007

Beytout et les étudiants psychosociologues

Réaction provenant de Nikos Kalampalikis

« Ceux qui ont choisit psychosociologie… » Sur la rhétorique de M. Beytout


Vendredi 16 novembre 2007 sur les ondes de France Info :
N. Beytout : « Écoutez, si l’avenir de nos enfants dépend du malaise de ceux qui ont choisit psychosociologie et qui bloquent à 50 des facs où il y a 15 000 étudiants, alors c’est un vrai grave problème ! »
L. Joffrin : « C’est une caricature ! »
N. Beytout : « Non ce n’est pas une caricature !… »

Ainsi qualifiait le directeur de la rédaction du Figaro, vendredi dernier, les étudiants ayant fait le choix de la mobilisation pour défendre une cause politique lors de son débat radiophonique avec son homologue du quotidien Libération, Laurent Joffrin. Au-delà des qualificatifs méprisables attribués par Monsieur Beytout aux étudiants grévistes, nous pouvons nous demander si le directeur de Figaro opérait là une figure de rhétorique. Effectuait-il une métaphore ou une comparaison ? Autrement dit, s’agissait-il d’une transposition de sens par substitution analogique visant à attribuer aux étudiants grévistes des traits des étudiants en psychosociologie ? Ou alors réalisait-il une comparaison, en exprimant explicitement une assimilation entre deux idées, ici deux groupes ? Allons un peu plus loin. Qu’est-ce qui amène le directeur de Figaro à parler ainsi des « étudiants en psychosociologie » ? A-t-il des raisons spécifiques qui l’amènent à utiliser ce point de comparaison et à défendre sa plausibilité, voir sa véracité ? A-t-il lui-même fait des études de psychologie sociale ? A-t-il suivi des enseignements qui lui ont laissé un goût amer ? Étant, depuis quelques années, enseignants-chercheurs en psychologie sociale il est tout à fait compréhensible que l’on éprouve un certain étonnement, une certaine aporie, voire même une curiosité. D’où les questionnements suivants adressés au directeur de la rédaction du Figaro :

Savez-vous, Monsieur Beytout, par exemple,
- que l'Institut Français d'Opinion Publique (IFOP) (dont la directrice actuelle est Laurence Parisot…) a été fondé en 1938 par un psychologue social, Jean STOETZEL, et a donné une impulsion immense en France aux études sur l’opinion publique ?
- que la psychologie sociale a bénéficié dès l’après-guerre d’un formidable investissement humain et matériel, y compris par la Fondation Ford, pour développer ses réseaux et ses écoles de pensée en Europe ?
- qu’un autre psychologue social, protagoniste de cette histoire, Serge MOSCOVICI, hormis ses écrits prémonitoires sur l’écologie politique, a contribué grâce aux théories sur l’innovation des minorités et sur les représentations sociales à fonder une psychologie sociale européenne largement enseignée et pratiquée en France ?
- que la psychologie sociale est enseignée actuellement dans une bonne quarantaine d’universités françaises ?
- qu’elle bénéficie d’une très large diffusion internationale (Europe, États-Unis, Amérique latine, Asie) ?
- que très fréquemment la psychologie sociale est enseignée de concert en France avec la psychologie du travail ou la psychologie de la santé, dont l’association correspond à un des taux d’insertion professionnelle les plus élevés ?
- que les « focus groups », cette technique que vous devez sans doute connaître de nom, est issue du courant psychosocial de la dynamique des groupes, initié par Kurt LEWIN, et qu’on l’enseigne, entre autre, à nos étudiants ?
- que l’actuel Directeur de l'Enseignement Supérieur au Ministère de la Recherche, Jean-Marc Monteil, est un psychologue social ?

Nous tentons sans malaise et avec les moyens insuffisants de l’université française d’aiguiser un regard psychosocial critique à nos étudiants pour saisir l’importance de la pensée et des représentations sociales, de l’alterité, sous toutes ses formes ; pour comprendre (et déconstruire) les stéréotypes, le racisme, la discrimination ; pour mettre en évidence les déterminants psychosociaux des nouvelles formes de précarité qui touchent de plus en plus le tissu social ; pour étudier la mémoire collective, l’influence sociale, la mixité à l’école, le non recours à la justice, et on en passe. Sommes-nous en train de former des étudiants « subversifs » menaçant l’avenir de « vos » enfants ? N’est-ce pas là plutôt un oxymore, Monsieur Beytout ?



1
Retranscription d’une séquence du « débat du jour » sur France Info entre Laurent Joffrin (Libération) et Nicolas Beytout (Le Figaro), diffusé sur France
Info et LibéLabo sous le titre : « Etudiants: Sarkozy a-t-il sous-estimé la grogne? ». D’une durée totale d’environ sept minutes, on peut l’écouter ici :
http://www.libelabo.fr/2007/11/16/etudiantsle-gouvernement-a-t-il-sous-estime-la-grogne/